Le pape François – par Jacques Peccattehttp://www.spiritisme.com/2015/01/le-pape-francois-par-jacques-peccatte/Si dans le passé le Vatican fut capable d’évolutions significatives en particulier avec le concile Vatican II initié par Jean XXIII et les propos et actions de paix portés par le charisme de Jean-Paul II, nous n’aurions cependant jamais imaginé que le successeur de Benoît XVI puisse s’en prendre à la Curie romaine d’une façon aussi directe qu’il l’a fait le 22 décembre lors de la cérémonie des vœux de Noël.
Le pape François s’est livré à un inventaire impressionnant des quinze maladies qui gangrènent le gouvernement de l’Église : mondanité, arrogance, médisance, commérage, vanité, pétrification mentale, enfermement, schizophrénie, Alzheimer spirituel…
Ayant acquis une grande popularité par son franc-parler, sa simplicité et une volonté de changement dans sa propre fonction, le pape François a incontestablement voulu passer à la vitesse supérieure, provoquant son propre entourage de cardinaux d’une critique acerbe qui a fait 90% de mécontents selon Odon Vallet, spécialiste des religion, et qui pour sa part estime l’opération plutôt risquée. En réalité, tout le monde savait depuis longtemps que le Vatican n’était pas un modèle d’intégrité dans ses collusions avec la finance, dans ses conspirations internes et dans les protections accordées à certains prêtres dévoyés. Les populations catholiques seront sans doute majoritairement satisfaites, certains prélats le seront beaucoup moins, et le pape François a pris le risque de la vérité qui lui rendra plus compliquée sa relation avec les cardinaux. Toutefois, ce n’est apparemment pas son relationnel de prédilection, préférant être au contact des populations tout en ayant abandonné une partie des cérémoniaux et apparats encombrants qui ne conviennent pas à sa simplicité.
Depuis son élection le 13 mars 2013, le pape François a accompli plusieurs voyages pastoraux et diplomatiques tout comme ses prédécesseurs en avaient pris l’habitude : les JMJ à Rio ; Israël, Palestine et Jordanie ; Corée du Sud ; Albanie ; le Parlement européen à Strasbourg ; la Turquie. Il a reçu entre autres personnages, Mahmoud Abbas et Shimon Peres, Barack Obama. Il a rencontré Bartholomée 1er, patriarche des Eglises orthodoxes. Si ces voyages correspondent au rôle du pape en tant que rassembleur des Chrétiens, ce sont aussi des rencontres de type diplomatique, ce qui n’est certes pas nouveau au Vatican, mais il semble que pour ce pape hors de la norme habituelle, le temps soit compté et qu’il souhaite agir au plus près d’une difficile actualité.
C’est ainsi qu’il s’est investi dans le rapprochement entre Cuba et les Etats Unis qui s’est concrétisé récemment, et dont on dit que son influence diplomatique y a joué un rôle important.
C’est ainsi que le 1er décembre, il rencontrait en Turquie le président Erdogan lui expliquant qu’
« il serait beau que tous les dirigeants islamiques, responsables politiques, religieux et universitaires, condamnent le terrorisme… Nous avons besoin d’une condamnation mondiale du terrorisme islamique. » Et il prolongeait son propos à son retour dans l’avion, par une interview aux journalistes, insistant encore sur la nécessité d’une prise de parole publique des dignitaires musulmans, les invitant à condamner fermement et officiellement le fondamentalisme :
« … De même que l’on ne peut pas dire que tous les chrétiens sont tous des fondamentalistes. Nous en avons aussi. Toutes les religions ont ce genre de groupes. J’ai dit au président qu’il serait beau que tous les leaders musulmans, leaders politiques, leaders religieux, leaders académiques, disent clairement, condamnent clairement ces actes. Cette parole des leaders, de tous ces leaders, aiderait la majorité des peuples musulmans, vraiment. Nous avons tous besoin d’une condamnation mondiale de la part de tous les musulmans. Que ceux qui ont l’identité musulmane disent : l’islam ce ne sont pas les terroristes ! Le Coran ce n’est pas cela ! »
La démarche du pape François n’est sans doute pas nouvelle dans des interventions pour la paix et le rapprochement entre les hommes et entre les peuples. Il y eut de nombreux précédents dont le plus marquant fut sans doute l’action de Jean-Paul II qui avait pesé de toute son influence pour la fin du communisme d’état en Pologne. Dans le cadre actuel, les interventions à caractère politique ou plus précisément diplomatique, ont des buts de réconciliation entre les peuples, et sont également en rapport avec une brûlante actualité suspendue aux fondamentalistes qui sèment la terreur en particulier au Moyen Orient.
Les plus laïcs de nos concitoyens se demandent bien ce que l’Eglise vient faire dans ces tumultes. Et pourtant certains d’entre eux n’ont pu que saluer le bien fondé d’actions et prises de positions sur lesquelles la plupart des démocrates et humanistes s’accorde. Et si l’Etat du Vatican demeure par son histoire une sorte d’anomalie dans le concert des nations, on n’est pas mécontent après tout que la voix de son chef puisse porter dans le sens d’une paix à construire par des rapprochements inattendus comme ce fut le cas il y a peu entre les Etats Unis et Cuba. L’on n’est pas non plus mécontent de voir des infléchissements significatifs concernant les questions sociétales comme la reconnaissance des homosexuels, le rôle des femmes dans l’Eglise, et autres sujets sensibles pour lesquels le pape François n’a sans doute pas encore dit son dernier mot.
Il a dit un jour qu’il sera prêt à démissionner de sa fonction, quand le temps venu, il aura accompli sa mission. Mais cette mission risque d’être longue étant donné toutes les réformes envisagées, en particulier concernant les questions sociétales et concernant la Curie romaine, son organisation, ses richesses, sa mentalité et certaines fautes majeures du point de vue de la morale.
Là où l’Eglise accusait un retard dans la société moderne, le pape précipite le mouvement pour un vaste chantier de réflexion sur tous les sujets sensibles, ce qui sera certainement très long, du fait que cela soulèvera bien des oppositions au sein du gouvernement de l’Eglise. Aujourd’hui même, les cardinaux de la Curie semblent sonnés par les admonestations qu’ils viennent de subir. Déjà une fronde contre les idées novatrices du pape est menée par trois cardinaux : l’Américain Raymond Leo Burke, l’Australien George Pell, choisi par le pape François pour rebâtir le secrétariat à l’économie du Vatican, et l’Allemand Gerhard Ludwig Müller. Inquiètes d’un tournant doctrinaire, ces voix dissidentes se sont tournées vers le pape émérite Benoît XVI, lequel a refusé d’interférer dans le pontificat de son successeur.
Le vent des divergences souffle sous la coupole de Saint-Pierre de Rome, mais le pape a engrangé une popularité irréversible dans le monde catholique et même au-delà des chrétiens. Il semble bien que personne ne pourra le faire reculer dans la mission qu’il s’est donnée et son entourage ne pourra que se soumettre bon gré mal gré, car si le pape François n’a pas tout pouvoir, il a au moins celui de la parole inattendue, il s’exprime publiquement pour que tout le monde sache, remportant l’adhésion du peuple des chrétiens dans sa majorité au grand dam d’une Curie qui se trouve mise à nu devant le monde entier et qui ne saura où et comment trouver les moyens de sa résistance au progrès.
Serait-ce le signe de la fin d’une Église ? Ou bien de la refonte totale d’une organisation d’un autre temps ? En tout cas, malgré ses lourdeurs et son immobilisme, elle ne sera plus désormais tout à fait comme avant, du seul fait qu’elle a été montrée du doigt par son pape. Déjà la démission de Benoît XVI fut un événement inédit, irait-t-on alors vers un mandat limité comme pour un président ? Il est certain en tout cas que l’Institution est bousculée par son chef dans sa volonté de la faire évoluer vers d’autres formes à la fois plus sobres et plus spirituelles, ce qui ne pourra que satisfaire tous les chrétiens progressistes.